Roumanie : “L’Occident n’est plus le paradis qui nous faisait rêver”

 
Au volant de son Aro déglinguée, camionnette tout-terrain de production roumaine, Ciprian Anghel prend les virages en douceur. Le moteur tousse sans arrêt, l’engin tremble et risque à tout moment de rendre l’âme. Cet ouvrier en bâtiment semble être l’homme à tout faire, un pur produit de la Roumanie où la débrouillardise fait partie du kit de survie. Derrière son apparence de bricoleur, Ciprian est un véritable entrepreneur. Rentré d’Irlande il y a quelques mois, il emploie aujourd’hui une dizaine de personnes dont les deux tiers reviennent de chantiers italiens, espagnols et français où ils étaient partis chercher de meilleurs salaires.

Ce mouvement de retour a commencé au début de l’année. Plusieurs milliers d’ouvriers roumains sont rentrés d’Irlande, d’Italie et d’Espagne. Sur les 8 millions de Roumains qui ont fait des allers-retours dans les pays de l’Union européenne en 2008, "2 % sont rentrés et ne sont pas repartis à l’étranger", déclare Ionela Roman, porte-parole de la police des frontières roumaine.

La majorité des Roumains qui quittent les marchés occidentaux du travail viennent du bâtiment. Le marché immobilier roumain est actuellement un des plus dynamiques sur l’ensemble de l’Union européenne. "J’ai créé ma société en juin, affirme M. Anghel. J’ai dix employés et il m’en faudrait deux fois plus, car j’ai de gros chantiers à Bucarest et en province. Mais je ne me dépêche pas, j’ai du travail pour au moins trois ans. Pour l’instant, j’investis dans les outils et je m’apprête à acheter une nouvelle camionnette, une vraie, une marque occidentale. Après, je pourrai passer à la vitesse de croisière."

Ciprian Anghel a travaillé un an et demi en Allemagne et en Irlande avant de rentrer à Bucarest. "En Irlande, je touchais environ 1 500 euros par mois, explique Ciprian Anghel. Ce n’était plus rentable, d’autant que j’avais laissé ma femme et ma fille en Roumanie. Aujourd’hui, je gagne plus en Roumanie qu’en Europe de l’Ouest. Et puis ici il va y avoir du boulot, ce n’est pas comme à l’Ouest. L’Occident n’est plus le paradis qui nous faisait rêver, vous allez voir, beaucoup de Roumains vont rentrer."

Le retour des Roumains du bâtiment semble être le début d’un processus que les autorités roumaines attendent depuis longtemps. Les programmes mis en oeuvre par le gouvernement de Bucarest pour les encourager à rentrer ne les avaient pas convaincus mais la perspective de la prospérité semble être un argument de poids. La Roumanie devrait atteindre un taux de croissance d’environ 9 % cette année.

"FOUTAISE"

Ce phénomène de retour s’est imposé dans la campagne des élections législatives prévues pour le 30 novembre. Le 21 septembre, en visite à Milan, le leader de l’opposition sociale-démocrate, Mircea Geoana, promettait ainsi au million de Roumains qui travaillent en Italie la somme de 20 000 euros pour chacun d’entre eux qui serait prêt à rentrer à la maison. "C’est de la foutaise avant les élections, conclut Ciprian. Nous croyons plus à l’Union européenne qu’à notre classe politique, une vraie bande de voleurs. Je ne veux pas qu’un chef de parti m’offre 20 000 euros, j’attends de lui qu’il me laisse les gagner tout seul. Et je peux vous dire qu’il ne m’est pas difficile de gagner le double."

Depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne en 2007, environ 3 millions de Roumains sont allés s’installer en Europe occidentale. Ce départ massif a provoqué une pénurie de main-d’oeuvre dans un pays qui se développe à grands pas. Rien que dans le bâtiment où la Roumanie connaît la plus forte croissance à l’échelle de l’UE, les patrons sont à la recherche d’environ 300 000 ouvriers. Avec des salaires de 1 000 euros net minimum.

L’explosion du marché immobilier, baromètre du nouveau tournant économique de la Roumanie, a entraîné une hausse des salaires moyens qui atteint aujourd’hui 350 euros, contre une centaine d’euros en 2000.

Mirel Bran, Le Monde, 22.10.08

http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/10/21/roumanie-l-occident-n-est-plus-le-paradis-qui-nous-faisait-rever_1109333_3214.html#ens_id=1109424

About Marc Leprêtre

Marc Leprêtre is researcher in sociolinguistics, history and political science. Born in Etterbeek (Belgium), he lives in Barcelona (Spain) since 1982. He holds a PhD in History and a BA in Sociolinguistics. He is currently head of studies and prospective at the Centre for Contemporary Affairs (Government of Catalonia). Devoted Springsteen and Barça fan…
This entry was posted in News and politics. Bookmark the permalink.

Leave a comment